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PRÉFACE. xxxi

changement dans la langue, quoique les mœurs et l'état des esprits eussent déjà beaucoup changé. L'édition de 1762 est seule importante pour l'histoire de notre idiome, qu'elle reprend à un siècle de distance des premières créations du génie classique, et qu'elle suit dans une époque de création nouvelle. Cette édition, en général retouchée avec soin, et, dans quelques parties, par la main habile de Duclos, prêterait à plus d'une induction curieuse sur le travail des opinions et le mouvement des esprits. Du reste, dans sa nomenclature étendue et correcte, elle montre bien qu'une langue fixée par le temps et le génie n'a pas besoin de se dénaturer pour traiter tous les sujets, suffire à toutes les idées. Les expressions scientifiques y sont plus nombreuses, les définitions plus précises, les exemples mieux choisis et plus souvent empruntés au style des livres, les idiotismes familiers plus rares. Il y manque ce que l'époque déjà avancée de la langue commençait à rendre plus utile, l'histoire de son origine et ses variations.

Quand Voltaire vint à Paris, en 1778, pour donner encore une tragédie au public, voir le siècle qu'il avait fait, et mourir, son infatigable activité d'esprit le fit songer même au Dictionnaire de l'Académie ; et il entreprit de le recommencer sur ce plan philologique qui convient aux langues vieillies. Il voulait « recueillir pour chaque mot, l'étymologie reconnue ou probable, les acceptions diverses, avec les exemples tirés des auteurs les plus approuvés, et faire revivre toutes les expressions pittoresques et énergiques de Montaigne, d'Amyot, de Charron, qu'a perdues notre langue. » Voltaire[1] arrêta lui-même le projet, se chargea d'une lettre, et avait hâte de mettre toute l'Académie à l'ouvrage. Mais cette dernière volonté de son testament littéraire se perdit après lui ; et la révision du travail de 1762 fut continuée dans la même forme.

A la vérité, de bien plus graves intérêts allaient préoccuper les esprits. Il s'agissait alors pour la société d'une bien autre réforme que celle de la langue : et il eût été puéril de regarder par ce petit côté le spectacle de la France en révolution. Mais, longtemps après l'éruption du volcan, lorsqu'elle a brûlé et fécondé la terre, viennent des curieux qui ramassent quelques scories, et qui les analysent. C'est ainsi que l'on pourrait aujourd'hui rechercher les traces que l'enthousiasme de 1789, et les secousses qui suivirent, ont laissées dans notre langue. Comme jamais société n'avait été plus violemment dissoute et mêlée, comme il y eut à la fois des passions terribles et des changements profonds, l'empreinte en a dû rester dans les expressions, ainsi que dans les mœurs. Si, par l'influence même des discussions spéculatives qui avaient marqué les dernières années littéraires du dix-huitième siècle, quelque chose de singulièrement vague et déclamatoire se mêla souvent aux plus formidables réalités de la révolution, les imaginations n'en reprirent pas moins, dans cette épreuve, une vigueur qui passait au langage. De cette ardente et hétérogène fusion sortirent quelques

  1. Regist. de l'Académie, séance du jeudi 7 mai 1778.