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Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 10, trad Mardrus, 1902.djvu/247

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histoire du dormeur éveillé
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À ces paroles, la jeune Canne-à-Sucre, épouvantée, s’écria : « Non, par Allah ! moi je ne veux pas mourir ! Et tu peux employer pour toi seul ce moyen-là ! » Aboul-Hassân, sans s’émouvoir ni se fâcher, répondit : « Ah ! fille de la femme, je savais bien, quand j’étais célibataire, que rien ne valait la solitude ! Et la faiblesse de ton jugement me le montre plus que jamais ! Si, au lieu de me répondre avec cette promptitude, tu avais pris la peine de me demander des explications, tu te serais réjouie à l’extrême de cette mort que je te proposais et que je te propose encore ! Ne comprends-tu donc pas qu’il s’agit pour nous, afin d’avoir de l’or pour tout le restant de notre vie, de mourir d’une mort feinte et non point d’une mort véritable ? » À ces paroles, Canne-à-Sucre se mit à rire et demanda : « Et comment cela ? » Il dit : « Écoute donc ! Et n’oublie rien de ce que je vais t’enseigner. Voici ! Une fois que je serai mort, ou plutôt une fois que j’aurai feint d’être mort, car c’est moi qui mourrai le premier, tu prendras un linceul et tu m’y enseveliras. Cela fait, tu me mettras au milieu de cette chambre où nous sommes, dans la position prescrite, le turban posé sur le visage, et le visage et les pieds tournés dans la direction de la Kaaba sainte, vers la Mecque. Puis tu te mettras à pousser des cris perçants, à hurler de travers, à verser les larmes ordinaires et extraordinaires, à déchirer tes vêtements, et à faire semblant de t’arracher les cheveux ! Et, quand tu te seras bien mise dans cet état-là, tu iras, tout en pleurs et les cheveux défaits, te présenter à ta maîtresse Sett Zobéida, et, par des paroles entrecoupées de sanglots et d’é-