Aller au contenu

Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 12, trad Mardrus, 1903.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
202
les mille nuits et une nuit

du moins à un repas ; mais leurs espoirs et leur attente furent vains, et tes heures se passèrent sans que le kâdi eût fait d’invitation. Et chacun se retira en maudissant le ladre.

Mais pour ce qui est de la jeune épouse, après avoir souffert cruellement d’un jeûne aussi rigoureux et aussi prolongé, elle entendit enfin son époux appeler la négresse à peau de buffle, et lui ordonner de dresser le tabouret des repas, en y mettant la nappe à franges d’or et les plus beaux ornements. Et l’infortunée espéra alors pouvoir enfin se dédommager du jeûne pénible auquel elle venait d’être condamnée, elle qui avait toujours vécu, dans la maison de son père, au milieu de l’abondance, du luxe et du bien-être. Mais hélas sur elle ! que devint-elle lorsque la négresse eut apporté, pour tout plateau de mets, un bassin dans lequel étaient trois morceaux de pain bis et trois oignons ? Et, comme elle n’osait faire un mouvement et ne comprenait rien, le kâdi prit avec componction un morceau de pain et un oignon, donna une part égale à la négresse, et invita sa jeune épouse à faire honneur au festin, en lui disant : « Ne crains point d’abuser des dons d’Allah ! » Et il commença lui-même par en manger avec un empressement qui démontrait combien il goûtait l’excellence de ce repas. Et la négresse également ne fit qu’une bouchée de l’oignon, vu que c’était l’unique repas de la journée. Et la pauvre épouse abusée voulut essayer de faire comme eux; mais, habituée qu’elle était aux mets les plus délicats, elle ne put avaler une bouchée. Et elle finit par se lever de table, à jeun, maudissant en son