Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 2, trad Mardrus, 1916.djvu/25

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Alors je lui dis : « Ô mon maître, de grâce ! soulage-moi d’un poids qui me pèse et d’une tristesse qui me désole. Pourquoi as-tu mangé avec la main gauche ? Aurais-tu par hasard un mal douloureux à la main droite ? » À ces paroles le jeune homme récita ces deux strophes :

« Ne me demande point ce que j’ai de souffrances dans l’âme et de douleurs aiguës. Tu verrais mon infirmité.

Et surtout ne me demande point si je suis heureux. Je le fus. Mais il y a si longtemps ! Depuis, tout est changé. Toutefois, contre l’inévitable, il faut user de sagesse. »

Puis il tira sa main droite de la manche de sa robe : et je vis que cette main était coupée, car le bras n’avait plus de poignet. Et je fus énormément étonné. Mais il me dit : « Que cela ne t’étonne point ! Et surtout ne pense plus que c’est par manque d’égards envers toi que j’ai mangé avec ma main gauche ; car tu vois maintenant que c’est parce que ma main droite est coupée. Et la cause en est bien étonnante ! » Alors je lui demandai : « Et quelle est cette cause ? » Et il me dit :

« Sache que je suis de Baghdad. Mon père était l’un des grands et l’un des principaux de la ville. Et moi, jusqu’à ce que j’eusse atteint l’âge d’homme, j’écoutais les récits des voyageurs, des pèlerins et des marchands, qui nous racontaient, chez mon père,