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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/156

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LA MACHINE A COURAGE

moi la répétition générale de la mort. La « Première » se présentera sans doute autrement, mais la fin du dernier tableau sera pareille.

Je suis émue en pensant cela comme si Dieu m’avait fait un cadeau particulier. Certainement je ne regarde plus la vie de la même façon depuis cette incursion à la pointe du connaissable. J’étais simplement surprise de ne voir là rien de conforme à la vision des poètes et des philosophes.


Mon corps était comme le manteau doux qu’une femme abandonne sur le lit. Je savais qu’il mourait. Mais moi je n’abandonnais pas ma volonté qui restait follement tendue… Des flèches étaient lancées. Je ne savais pas si elles tombaient du côté de la mort ou du côté où j’étais encore.


J’étais déjà en dehors du petit cercle qui renferme bonheur ou malheur, plaisir ou larmes. Je n’avais pas à dire adieu à ce qui est pour moi : amour. C’était trop essentiel pour mourir avec mon corps. Tant que je vivais ce corps avait participé à la fête d’amour comme un invité de marque, un invité qui croit même que sans sa présence rien ne serait. Cependant il n’était pas la fête, il n’en était que l’expression fulgurante et humaine. Maintenant l’invité allait périr avec le périssable. Tous les sens et la féerie de leur vertige disparaissaient. Mais l’approche de la mort ne pouvait les rompre nettement et leurs effilochures traînaient depuis les cieux jusqu’à mon lit.


Je vois la transposition des choses qui restent immuables.


Je cherche à comprendre, je ne peux pas, mais je sais. Il y a là une vérité qui fait la vie réelle. Je l’ai eue… Tout le monde l’a eue. Mais… peut-être quelques-uns seulement… Il y a sur la cheminée une corbeille de violettes de Parme. Elle est devant une vitre, mais un store de bois est descendu derrière, seulement en bas je devine le jour ― ce miracle. Je pense à tous les gens qui marchent dans le jour pour le chercher… mais pour chercher quoi ? Des objets, des personnes, entendre, regarder, parler. Tout est mystérieux. Comment