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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/49

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MONNA VANNA AU MANHATTAN OPERA

Il cherche dans son portefeuille, examine ma fourrure et demande ma signature. Je rougis, il n’insiste pas, remercie et part, laissant en mes mains un billet de cinq dollars. Ce billet restera toujours devant mes yeux, couvrant tout New-York de son importance…

Ce même soir nous achevions de dîner — un vrai dîner, avec du jambon et des nouilles. Monique me regardait inquiète. Quand n’était-elle pas inquiète, la chère amie qui partageait mes angoisses avec tant de douceur. J’allais au Chicago Opera.

« — Mon Dieu ! » soupira-t-elle, tu vas entendre Monna Vanna !

Je répondis vaguement :

« — Pourquoi pas ? »

En vérité mon aventure de l’après-midi avait réveillé mon audace. Je me sentais libre pour la première fois depuis mon arrivée.

Je n’étais pas encore sortie seule le soir et je redoutais d’affronter l’autobus en costume de soirée. J’enroulai autour de mon cou une étole de chinchilla qui me cachait le visage jusqu’au bout du nez, et je partis en riant pour rassurer Monique. Mais tout se passa bien. Les autobus de la cité, surtout ceux de la Fifth avenue, sont un moyen de locomotion familial. Sur l’impériale, en été, on voit même des messieurs en smoking et des dames en grande toilette.

À l’Opéra je n’eus qu’à demander la baignoire de Madame Hammerstein, directrice du Manhattan Opera House depuis la mort de son mari, Oscar Hammerstein. Au moment où je frappais au numéro indiqué, la porte de la baignoire voisine s’ouvrit. Un jeune homme parut sur le seuil. Je répondis à son salut sans comprendre, Madame Hammerstein me présentait à ses invités et me faisait asseoir au premier rang à côté d’elle. Mary Garden était déjà en scène. J’attendais avec intérêt sa création.

Dès le rideau baissé le jeune garçon qui m’avait saluée s’introduisit. Il se nomma, Allen Tanner. Il parlait un français imaginé par lui, mais je compris qu’il m’avait rencontrée quelques années avant quand j’étais à l’Opéra de Boston. Au