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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/48

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LA MACHINE À COURAGE

bouteille, l’homme titube, tandis que descendent au fond de la scène des échelons lumineux que gravit la fée « Oiseau d’or » en chantant un hymne de paix. Le couple se dirige vers une alcôve laissant apercevoir un divan flanqué d’un bar. Le rideau tombe.

Cette ordure devait remplir quinze minutes.

Découragé par ma colère, mon manager commence à douter de ses possibilités.


Chassée de mon lit atroce, je dors dans un fauteuil… Sans cesse blessée, secouée, submergée, comprimée… Tout est fait pour m’exaspérer, me lasser, me décourager. Mais je résiste et je bénis le vertige qui m’empêche de penser… On me déclare que ma conduite est une « faillite » épouvantable pour le groupe des agents Hearst. On cesse de me voir et les calomnies commencent :

« — Elle ne veut pas travailler, elle n’est capable de rien. »

Je décide de me révolter. Mon manager sent une atmosphère qu’il ne connaît pas. Je le menace. Il me défie de trouver une issue. Mais étant en mauvaise posture, il me suppose des armes que je n’ai pas. Je le mets en demeure d’arranger tout et lui déclare que je vais agir…

Une heure après je marche dans le Central Park qui se trouve au bout de la rue que nous habitons. Les gens passent vite, le nez rouge, la chaleur du souffle visible dans l’air froid, les mains enfoncées dans les poches. Un rassemblement m’arrête — deux hommes armés d’un filet poursuivent un pigeon blessé pour le soigner. L’instant me semble propice. On vient, on regarde, on s’attroupe. Je guette les pardessus chics. Je sors un album de mon manteau et je commence… Le monsieur bien mis risque un œil sur mon croquis. Je sais la puérilité de ces vieux Américains graves. J’oublie les rides, j’arrondis les joues. Roméo à lunettes, il est ridicule mais il s’intéresse davantage et, spontanément :

« — How much ?  »

« — Je ne sais pas. »