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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/57

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CHAPITRE V

J’AI FAIM. — LE PETIT HOMME ROSE. — L’ESPRIT EN COMPRIMÉS. L’AIR FÉMININ DE LA RACE. — GENTLEMAN DE LONG ISLAND. — PRÉGÉNÉROSITÉ AMÉRICAINE.



La vie quotidienne et secrète était toujours un problème et les jours passaient. J’étais déterminée à ne rien dire à ma famille. C’eût été l’obligation de rentrer. Je ne pouvais l’admettre. Hearst publierait mon manuscrit de manière scandaleuse et je partirais sans avoir pu tenter un seul geste.

Je ne parvenais pas à liquider mon chinchilla. Je ne voyais personne. Allen était à Chicago. D’ailleurs je l’eusse affligé inutilement, il ne pouvait rien matériellement. Il fallait nous contenter de ce que Monique obtenait à crédit chez la brave crémière d’en face — un verre de lait, deux pommes, parfois deux petits pains.

Alors la pauvre amie, plus sage que moi, s’obstinait sur des raccommodages et je piétinais dans l’appartement cherchant une idée, une issue dans ma tête qui chavirait de plus en plus. Un métronome marchait dans mon front, il battait d’une tempe à l’autre, plus vite, plus fort à mesure que les heures s’écoulaient. J’avais seulement conscience d’une chute. C’était ma vie qui tombait. Je voyais trouble, je comprenais mal, je sentais peu. Quelque chose me tirait en bas. Révolte, effort, imagination, esprit ne pouvaient rien. Mon corps avait besoin de manger. C’était tout.