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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/70

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LA MACHINE À COURAGE

de blanc agitée en l’air et un sourire au-dessous d’une toque de skungs.

« — How do you do ?  »

Deux bras bleu-horizon s’ouvrirent et nous nous embrassâmes, chacune laissant sur les joues de l’autre une petite touche de rouge. Je n’étais pas étonnée. C’était ainsi depuis toujours…

À peine sur le trottoir, je riais tant que j’arrêtai notre mouvement. Je regardais la coupe « grand chic » du tailleur de Margaret. Je regardais cette belle jeune femme si parfaitement élégante et je criais dans mes rires :

— « Allen ! Allen ! c’est là… la femme sauvage… la femme préhistorique que j’ai vue à travers vos récits…

Sans bien comprendre, tous deux riaient avec moi. Margaret avait des éclats de rire d’argent clairs qui saccadaient en soprano, mais elle parlait en contralto avec des sons attachés à la gorge. Je la félicitai de ne pas parler comme beaucoup d’Américaines avec une voix de basse-cour. Elle répondit qu’elle était d’origine écossaise.

Son regard m’intriguait surtout — ses yeux d’un bleu de lac comme habitués à refléter des paysages durs, des espaces vastes chargés de couleurs vives. Quand elle se taisait, ses yeux reposaient dans des orbîtes parfaitement dessinées en alcôve, leur teinte bleue s’alourdissait, ils devenaient ingénument méditatifs comme ceux des bébés.

Sa marche légère semblait mue par l’émotion. Ses gestes étaient particuliers — elle avait une manière amusante d’écarter son coude gauche et de le tenir assez haut avec la main appuyée sur la poitrine et les doigts largement séparés. Une voilette légère soulignait le bout de son nez et retenait ses cheveux châtains. Quand une mèche revenait sur ses yeux elle avançait la lèvre inférieure et soufflait très fort pour la repousser en arrière. Allen l’imitait en se moquant d’elle, et c’était un prétexte à rire plus fort.

Elle ne parlait pas français et je ne disais pas un mot d’anglais, mais je ne me souviens d’aucune barrière entre nous. Son intensité franchissait les mots et rejoignait la mienne. C’est cela qui la caractérisait. Quand elle discutait avec Allen, ses yeux n’étaient plus ingénus, mais habités par des