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L’HOLOCAUSTE.

Et la foule y tournoie et s’y heurte et s’y rue
Pêle-mêle, les yeux écarquillés, les bras
En l’air : moines blancs, gris ou bruns, barbus ou ras,
Chaux ou déchaux, ayant capes, frocs ou cagoules,
Vieilles femmes grinçant des dents comme des goules,
Cavaliers de sang noble, empanachés, pattus,
Rogues, caracolant sur les pavés pointus,
Dames à jupe roide en carrosses et chaises,
Gras citadins bouffis dans la neige des fraises,
Avec la rouge fleur des bons vins à la peau,
Estafiers et soudards, et le confus troupeau
Des manants et des gueux et des prostituées.

Plein de clameurs, de chants d’église, de huées,
De rires, de jurons obscènes, tout cela
Vient pour voir brûler vif cet homme que voilà.

Debout sur le bûcher, contre un poteau de chêne,
Les poings liés, la gorge et le ventre à la chaîne,
Dans sa gravité sombre et son mépris amer
Il regardait d’en haut cette mouvante mer
De faces, d’yeux dardés, de gestes frénétiques ;
Il écoutait ces cris de haine, ces cantiques
Funèbres d’hommes noirs qui venaient, deux à deux,
Enfiévrés de leur rêve imbécile et hideux,
Maudire et conspuer par delà l’agonie
Et de leurs sales mains souffleter son génie,
Tandis que de leurs yeux sinistres et jaloux
Ils le mangeaient déjà, comme eussent fait des loups.