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POÈMES TRAGIQUES.

Quand le vent de l’hiver les heurte et les fracasse,
Encombrent les chemins de quartiers de carcasse,
Avec force corbeaux battant de l’aile autour !
Siècles du noble sire aux aguets sur sa tour,
Éperonné, casqué, prêt à sauter en selle
Pour couper au marchand la gorge et l’escarcelle,
Et rendant grâce aux Saints si les ballots sont lourds
De brocards d’Orient, de soie et de velours !
Siècles des loups-garous hurlant dans les bruyères,
Des Incubes menant la ronde des sorcières
Par les anciens charniers où dansent alternés
Les feux blêmes qui sont âmes des morts damnés !
Siècles du goupillon, du froc, de la cagoule,
De l’estrapade et des chevalets, où la Goule
Romaine, ce vampire ivre de sang humain,
L’écume de la rage aux dents, la torche en main,
Soufflant dans toute chair, dans toute âme vivante,
L’angoisse d’être au monde autant que l’épouvante
De la mort, voue au feu stupide de l’Enfer
L’holocauste fumant sur son autel de fer !
Dans chacune de vos exécrables minutes,
Ô siècles d’égorgeurs, de lâches et de brutes,
Honte de ce vieux globe et de l’humanité,
Maudits, soyez maudits, et pour l’éternité !