Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/104

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d’arriver à Paris une jeune artiste de génie, qu’il avait connue et protégée dans son enfance, Maria Malibran. Elle fut pour lui délicieuse de commisération et de tendresse. Il avait suspendu au pied de son lit, dans son alcôve, de façon à ce que ses yeux en s’ouvrant le rencontrassent tout d’abord, un portrait de sa fille par Robert Lelèvre. La Malibran, venant un jour chez lui sans le trouver, profita de son absence pour écrire sur le cadre de ce portrait :


Ne pleure pas !Elle n’est qu’endormie.


Qu’on juge de son émotion lorsqu’en rentrant, il vit… non, il entendit ce mot… car ce vers parlait ! C’était le son, c’était le cri de pitié de cette voix qui enchantait alors tout Paris ! Le pauvre homme courut chez elle, et tomba dans ses bras en fondant en larmes et en s’écriant… « Ma fille ! Ma fille ! Vous me rendez ma fille !

Hélas ! il faut bien le dire, ce n’était là qu’une illusion que ne trompait personne, pas même lui, un touchant mensonge qui abusait un moment sa douleur, mais ne la guérissait pas, et les années sombres s’approchaient ! C’est alors que, peu à peu, son heureuse nature lui créa une occupation nouvelle, lui révéla un talent qu’il ne se connaissait pas, lui rendit ce dont l’homme d’intelligence ne peut se passer, le travail, lui ouvrit enfin une sorte de dernière carrière, proportionnée aux forces et aux besoins d’esprit de son âge. Peu de chose nous suffit à soixante-dix ans pour