Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/106

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quelque distique ou quatrain de sa façon. En voici un fort joli, qui donnera l’idée des autres :

 
Le travail a payé cet asile champêtre :
Passant, qui que tu sois, je te le dois peut-être.


M. Bouilly n’avait pas dans son cabinet un seul meuble qui ne portât quelque inscription latine. Sur le socle de sa pendule, un vers de Virgile ; sur la frise de sa bibliothèque, un vers d’Horace ; sous le portrait de Bossuet, une ligne de Tacite ; sous le buste de Molière, un hémistiche de Juvénal. En outre, il avait rassemblé, sur un petit carnet, une foule de maximes, de remarques, de traits spirituels ou profonds, tirés de Sénèque, de Cicéron, de Quintilien ; il se donnait ainsi l’innocente illusion de se croire un fort humaniste. C’est dans ce trésor qu’il allait puiser, les jours de discours maçonniques ; il appelait cela piquer la perdrix.

Je l’avouerai, quand, avec la gaieté quelque peu railleuse de mes vingt ans, j’assistais à un de ces banquets, car j’y assistais… Il avait tenu absolument à m’enrégimenter dans le bataillon sacré ; j’avais été reçu comme louveteau (fils de franc-maçon) ; j’avais juré sur une tête de mort, et sous peine de mort, de ne jamais révéler le secret de l’ordre, et certes, jamais je n’ai mieux tenu aucun serment, n’ayant jamais pu découvrir en quoi consistait ce secret… Je l’avouerai donc, quand je me voyais assis à un de ces banquets, avec mon petit tablier d’apprenti, et mon petit marteau brodé en sautoir, quand je contemplais, au haut