Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/112

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« Aimez-moi, madame, lui disait-il ; personne ne le croira. »

M. Andrieux n’était pas moins spirituel que M. Villemain. Le jour où j’allai lui faire ma visite de lauréat, il était fort question d’une tragédie de lui sur Brutus l’ancien, le fondateur de la République romaine, tragédie défendue sous l’Empire, défendue sous la Restauration, et dont M. de Martignac venait, disait-on, de permettre la représentation. Je lui parlai naturellement de M. de Martignac et de Brutus.

« Oh ! oui, me dit-il, M. de Martignac ! le ministre libéral ! Oh ! il m’a fait venir ! il m’a demandé de lui lire ma pièce. Il m’a accablé de compliments… Mais il défend la représentation. Il trouve que je n’ai pas fait Brutus assez royaliste !…

Rien ne peut rendre le petit sifflement strident, mordant, insolent, dont il accompagna et prolongea cette dernière syllabe de « royaliste » ; c’était une note de Rossini sur un mot de Voltaire. Les traits de ce genre abondaient dans la conversation de M. Andrieux. Il en avait de très profonds, comme sa réponse à Napoléon, qui se plaignait de la résistance du tribunal : « Sire, on ne s’appuie que sur ce qui résiste. » Il en avait d’incomparables de drôlerie et d’audace. En voici un quelque peu cru, mais que je ne puis résister au plaisir de citer. C’était chez mon père, à un grand dîner où figuraient quelques hauts dignitaires de l’Empire, quelques hommes de lettres et plusieurs artistes distingués. Tout à coup, une odeur fétide, venant d’un tuyau de descente, se répand dans la salle à manger. Chacun de dire,