Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/122

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qui parle ; il a son rôle à lui dans cette récitation. Sa voix, ses inflexions doivent faire sentir qu’il approuve, qu’il admire ; le fragment qu’il cite, est une leçon qu’il donne ; souvent même, à sa lecture, se mêlent de courtes exclamations qui sont des jugements ; il répète deux fois un même vers pour en faire comprendre toutes les beautés. M. Villemain excellait à intercaler ainsi ses propres impressions dans ses citations, à mêler le professeur au lecteur ; les vers de Lamartine ne m’ont jamais paru si beaux que dans sa bouche, précisément parce qu’il les déclamait en les lisant, et que, si je puis parler ainsi, les déclamer, c’était les acclamer.

Le succès de M. Villemain tenait encore à une cause plus intime. Elle venait d’une passion profonde, puissante, d’autant plus puissante qu’elle était unique en lui, la passion du beau littéraire, je dis littéraire, car tel est le trait distinctif de cet homme éminent. Montaigne l’aurait appelé un homme livresque. Les arts, autres que la poésie et l’éloquence, n’existaient pas pour lui. Il n’entendait rien à la musique, il ne goûtait pas la peinture ; sa myopie l’empêchait d’aimer la nature ; sa conformation le rendait peu propre aux exercices du corps. Il ne connaissait qu’une chose, les livres ; mais les livres comprenaient pour lui le domaine entier du génie. Pas de limites de temps, de pays, de langue, de genre ; tout ce qui s’appelle chef-d’œuvre lui appartenait, et quand il en tenait un entre les mains, quand il le lisait, l’analysait, l’interprétait, une telle chaleur, une telle sincérité d’enthousiasme se dégageait de sa parole, de ses gestes, de sa physionomie, qu’il