Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

était fait pour triompher, il n’était pas fait pour se battre. Je demandais un jour à M. Guizot, qui a su si bien passer, lui, de la chaire à la tribune, et de la Sorbonne au ministère, quelle différence séparait le professeur de l’orateur politique. « C’est, me dit-il, que le professeur parle de haut en bas, et que l’orateur politique parle de niveau. Quand le professeur monte en chaire, il n’a en face de lui que des disciples ; quand l’orateur monte à la tribune, il n’a devant lui que des adversaires. Parfois, ses amis même triomphent tout bas de ses défaillances, ils rient de ses échecs ; chaque discours est une victoire à remporter. Le professeur s’appuie sur tout le monde, l’orateur ne doit compter sur personne, et il doit compter sur lui-même. » Ce mot explique l’infériorité de M. Villemain, même au Parlement. Il avait besoin de sympathie pour être tout lui-même. L’hostilité, au lieu de l’exciter, le déconcertait. Ce moqueur ne pouvait supporter la moquerie. Il échoua un jour à la Chambre des pairs devant l’unanimité du silence. Assailli d’interruptions, il se plaignait avec amertume de ne pas même être écouté ; soudain, par une de ces inspirations, de ces conspirations de gaminerie qui éclatent parfois dans les assemblées publiques, comme dans les classes d’écoliers, part des rangs de l’opposition un formidable chut ! chut ! chut !… Le silence s’établit. M. Villemain recommence : chut ! chut !… Il lance une première phrase… chut ! chut ! chut ! Il la reprend… chut ! chut ! chut ! Troublé, décontenancé…, il cherche quelques mots de représaille, il ne les trouve pas, et pâle, balbutiant, il descend