Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la tribune, écrasé par cette ironique attention, et dévorant ses larmes.

Même impuissance comme ministre. Ne sont faits pour le pouvoir que les hommes qui en aiment non seulement les joies, mais les amertumes, non seulement l’éclat, mais le fardeau. C’est le mot charmant du docteur Véron, à qui un de ses amis reprochait d’avoir vendu trop cher le Constitutionnel dont il était directeur : « Et mes chers soucis ! s’écria-t-il, mes chers soucis que je perds ! Il faut bien qu’on me les paye ! » Eh bien, pour M. Villemain, les soucis du pouvoir étaient de mortelles et incurables douleurs. La responsabilité l’accablait ! Il avait peur de tout ! Le moindre article de journal le mettait hors de lui, ou l’épouvantait. J’en eus une preuve singulière. Un de mes plus chers amis, Goubaux, chef de la pension Saint-Victor devenue depuis le collège Chaptal, venait de rompre nettement avec l’éducation universitaire et d’inaugurer en France l’éducation professionnelle. Son ambition était de pouvoir substituer pour son établissement le titre de Collège au titre d’Institution. L’autorisation du ministre était indispensable. Sachant mes relations avec M. Villemain, il me pria d’aller la lui demander. J’y vais. A mon premier mot, voilà un homme qui part en invectives. Toutes ses convictions et tous ses préjugés d’universitaire se révoltent ; cette éducation nouvelle, cette éducation sans grec et sans latin lui semble un sacrilège, et il termine son dithyrambe par cette parole significative : « Un collège français !… Jamais ! ― Au fait, lui répondis-je froidement, en France ! cela me paraît