Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/133

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V

Dès lors sa démission s’imposait, il la donna, et comme son intelligence n’était pas réellement atteinte, quelques semaines de repos suffirent pour le rendre au bon sens, au travail, aux succès littéraires et académiques ; mais le caractère resta malade. Toujours ombrageux et inquiet, ses amis même lui inspiraient défiance. J’arrive un matin chez lui. « Que veniez-vous me demander ? me dit-il brusquement. ― Rien, répondis-je, je viens vous voir. ― Ah ! je comprends, reprit-il avec amertume, vous doutez de mon amitié, vous ne voulez rien de moi. » Tel était l’homme, et il allait s’enfonçant chaque jour davantage dans la misanthropie et les idées sombres, quand tout à coup, à soixante ans passés, éclata en lui un réveil de vie, de jeunesse, de gaieté, d’esprit ! J’ai vu peu de faits plus extraordinaires. Au choc d’un grand événement politique et sous le coup d’un sentiment nouveau, le Villemain d’autrefois reparut avec toute sa vivacité et toute sa verve. Quel était cet événement ? Le coup d’État de 1851. Quel était ce sentiment ? L’indignation. Le second empire lui inspira une horreur profonde, implacable. Ces massacres dans la rue, ces déportations en masse, cette confiscation de la liberté, cette spoliation des biens de la famille d’Orléans, cet écrasement