Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/134

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de la classe bourgeoise, ce triomphe du sabre, ce dédain pour les lettres, le blessaient dans ses plus profonds sentiments. Il ne tarissait pas de sarcasmes, de moqueries indignées contre ce nouveau César et contre cette nouvelle cour. Tout en lui se retrempa au feu de cette haine. Il redevint amoureux ! Il redevint poète ! Quand j’allais le voir, il me comptait ses passions tout idéales, et me montrait ses vers. Ressaisi en même temps par le démon du travail, il écrivit alors son dernier livre, qui est un de ses plus beaux, Pindare. Je ne saurais dire si, comme le prétendent les hellénistes, la connaissance de la langue grecque n’y est pas assez approfondie, mais, ce que je sais, c’est que M. Villemain y a mis le meilleur du génie athénien, la fleur et la flamme. Pour achever son œuvre, il se levait avant le jour, et, pour se mettre en train de travail, il commençait par faire des vers. Je l’entends encore me dire un matin, au moment où j’arrivais : « Tenez ! voilà la première ligne que j’aie écrite aujourd’hui :


Quatre heures du matin !… Allons !debout, vieillard ! »


Et il me déclama tout un morceau de poésie plein d’éloquence et d’élévation.

Ce beau mouvement ne pouvait durer. L’espérance de voir la chute de l’empire soutint quelque temps M. Villemain, mais le régime nouveau, en se prolongeant, fit tomber son ardeur, et ne laissa subsister que son animadversion. Un hasard singulier lui donna l’occasion de la montrer en plein palais des Tuileries. C’était au printemps de 1859, quelque temps avant la