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III

Béranger a eu deux grands objets de prédilection : les pauvres gens, et les jeunes gens.

Je lis ce vers dans sa chanson sur Manuel :


Cœur, tête et bras, tout était peuple en lui.


C’est son portrait que ce vers-là ! Il était du peuple, il comprenait le peuple, il aimait le peuple ; il n’y avait pas pour lui de plus chère compagnie que celle du peuple. La veste et la blouse lui plaisaient mille fois plus que l’habit. Un ouvrier venait-il le voir, le matin ? Il le faisait souvent asseoir à table à côté de lui, et déjeunait avec lui. S’il admirait tant saint Paul, c’est que saint Paul, en devenant apôtre, était resté tisserand.

Quand à son intérêt pour les jeunes gens, je n’ai besoin, pour le prouver, que de me souvenir et de citer.

Béranger aimait tant tout ce qui ressemblait à une espérance, à une promesse de talent, que souvent il n’attendait pas que les débutants vinssent à lui, il allait à eux. Mon prix à l’Académie me valut une lettre de sa main. Il m’écrivit de la Force, où il faisait un mois de prison, et, après les plus flatteuses paroles de sympathie, m’engagea à aller le voir. Le croirait-on ? je n’y allai pas, et je ne lui répondis pas ! Pourquoi ? oh ! pourquoi ? Par timidité ! Par fausse honte ! La jeunesse