Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/194

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Haï de Dieu, haï de ma famille entière,
Malheureux de l’amour à mon frère accordé,
Toujours de noirs pensers et d’ennuis obsédé,
Regrettant le néant, maudissant ma naissance,
Fatigué du fardeau de ma triste existence,
N’obtenant qu’avec peine un sommeil douloureux,
Et l’achetant encor par des songes affreux,
Enfin, réduit sans cesse à ce malheur extrême
D’abhorrer la nature, et les miens, et moi-même,
Mes jours, mes sombres jours, à gémir occupés,
M’apportent des enfers les maux anticipés !
Voilà, trop faible Adam, ton ouvrage funeste !
Si tu n’avais trahi la volonté céleste,
Tous tes enfants vivraient sous un ciel enchanté,
Dans la paix, l’innocence, et la félicité,
Je n’aurais pas du moins à plaindre ma misère…
Mais je crois que toujours j’abhorrerais mon frère !


La scène du second acte avec son père, a un caractère de grandeur presque épique.

Adam reproche à Caïn sa haine pour Abel :

 
Eh ! pourquoi le hais-tu,
Lui de qui la douceur égale la vertu ?

CAÏN
Allez-vous m’exalter la douceur de mon frère ?
Du soin de le vanter rien ne peut vous distraire !
Sur ces éloges vains que vous lui prodiguez
Vous revenez sans cesse ! Et vous m’en fatiguez !
Eh bien, si je n’ai pas son mérite en partage,
Si j’ai mille défauts enfin, c’est votre ouvrage !
Je serais vertueux si vous n’aviez péché !
Vous pleurez . . . . . . . . .