Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/20

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faire de lui ? Que désirez-vous qu’il soit ? ― Notaire, monsieur. » Dans ce temps-là, pour la bourgeoisie, et ma grand’mère était une franche bourgeoise, un notaire était un personnage à demi sacerdotal, qui tenait du magistrat et du prêtre ; on le prenait pour confident dans tous les chagrins, pour arbitre ou conseiller dans tous les embarras de famille ; c’était une sorte de confesseur laïque. Ma grand’mère ne croyait donc pas pouvoir rêver pour moi une plus belle profession. Le docteur avait souri en l’écoutant. Il reprit de nouveau ma tête, la palpa de nouveau, et dit à ma grand’mère : « Eh bien ! prenez-en votre parti, madame, il ne sera jamais notaire. ― Que sera-t-il donc ? ― Avant que je vous réponde, permettez-moi une question. Que faisait son père ? ― Il est fils de M. Legouvé. ― Ah ! à la bonne heure ! Je comprends ! Eh bien ! cet enfant-là sera e fils de son père… Il fera des vers. Je ne dis pas qu’ils seront bons, ajouta-t-il en riant, mais il ne fera que cela.

A ce pronostic du docteur se joignit bientôt pour moi l’influence de mon vieux professeur de sixième, ancien oratorien, qui avait deux passions : l’orthographe et la poésie. Il m’avait pris en grande affection, parce que je répondais précisément à ses deux goûts. Grâce à lui, je savais la grammaire à dix ans, beaucoup mieux qu’aujourd’hui où je suis un des quarante législateurs de la langue ; j’étais de force alors à lutter avec tous les Girault-Duvivier du monde, sur le rude terrain des difficultés orthographiques. Pour la poésie, mon vieux maître avait des admirations que ne sont plus