Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/202

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— Sire, répondit le poète, les craintes de Henri IV sont historiques.

— Peu importe ! Il faut couper le mot. Un souverain peut avoir peur, il ne doit jamais le dire. »

Tel fut le seul changement demandé par l’empereur.

La censure fut blâmée, le veto levé, la pièce rendue aux comédiens, et le soir de la première représentation ressembla presque à une veille d’émeute. Une foule immense assiégeait le théâtre, quatre heures avant le lever du rideau. Elle avait reflué jusque dans les rues environnantes. On s’attendait à une manifestation royaliste. Tout le personnel de la police était sous les armes. Les ministres blâmaient hautement l’empereur comme trop libéral. L’événement prouva une fois de plus que la liberté n’est pas une si mauvaise conseillère. Il n’y eut pas d’autre tumulte que le bruit des applaudissements, et les acteurs, excités par l’attente fiévreuse et par le succès, se surpassèrent.

En ce temps-là, la règle des emplois était très rigoureuse, et la distribution des rôles avait donné lieu à quelques difficultés. Talma avait exprimé à mon père un vif désir de représenter Henri IV, mais on objecta au théâtre que les personnages odieux et sombres étaient le partage de Talma ; à quoi il répondit : « C’est précisément pour cela que je demande le rôle de Henri IV. Il y a assez longtemps que je joue les monstres, je veux jouer un bonhomme. J’y serai d’autant meilleur que je suis habitué à jouer les autres, et je reviendrai aux autres d’autant meilleur que j’aurai joué celui-là. On ne progresse dans notre art qu’en se renouvelant.