Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/203

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Se confiner dans un seul genre de personnages, c’est se condamner forcément à l’exagération et à la manière. Mon cher Legouvé, fiez-vous à votre Néron pour bien jouer Henri IV. »

L’événement lui donna raison. Il corrigea plus d’une fois, par la vérité de l’accent et du geste, ce que le style avait de trop soutenu dans l’élégance, et l’on m’a souvent parlé de la mélancolie pénétrante de sa voix, dans ces beaux vers de la scène des pressentiments : Il est, il est des jours de sinistre présage Où l’homme dans son cœur cherche en vain son courage ! Ils me tueront, Sully !

Lafon sauva le personnage difficile de l’Épernon, à force de noblesse et de belle tournure ; Damas porta dans le rôle de Sully la brusquerie incisive de son talent ; quant à Marie de Médicis, elle revint de droit à Mlle Duchesnois, élève de mon père.

C’était une singulière artiste que Mlle Duchesnois, et qui mérite de nous arrêter un moment. Mon père avait consenti à lui donner des leçons, sur les prières instantes du ministre de l’intérieur, M. Chaptal. Un matin, il voit arriver chez lui une grande fille laide à faire peur, avec une bouche fendue jusqu’aux oreilles, maigre, noire de peau, et grelottant, au mois de décembre, dans une petite robe d’indienne, collée sur son corps.

« Vous êtes mademoiselle Duchesnois ?

— Oui, monsieur.