Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/226

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de son enseignement ; il dompta, mata, assouplit, à force de contraintes salutaires, ces jarrets et ce poignet de vingt ans, en même temps que ses méthodiques leçons ouvraient à cette jeune intelligence tous les secrets de l’art.

Mais qu’arriva-t-il ? C’est qu’au sortir de cette rude discipline, Bertrand tomba au milieu d’une révolution d’escrime qui renversait toutes les anciennes règles. Le romantisme faisait explosion dans les armes comme dans les autres arts. Arrière tout ce qui s’appelait académique ! Plus de correction, plus d’élégance ; le tireur ne devait avoir qu’un objet, toucher n’importe où et n’importe comment ! C’était la théorie politique de la souveraineté du but, transportée dans les armes. Un tel bouleversement était bien fait pour troubler les idées d’un jeune homme ; Bertrand s’y trouva à l’aise comme dans son élément naturel. Classique par éducation, mais romantique par tempérament, lui aussi, il était l’homme des audaces, des initiatives, des tentatives hasardeuses ; mettant donc au service des idées révolutionnaires, le fonds de science et la sûreté d’exécution qu’il devait à son père, il s’appropria toutes les ressources de l’école nouvelle sans rien rejeter des principes de l’ancienne, et résolut le problème, insoluble ce semble, de rester aussi élégant, aussi régulier, aussi correct que ses maîtres, en devenant aussi hardi, aussi toucheur que ses adversaires ; imaginez-vous,

Si parva licet componere magnis,