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IV

Changeons de décor : nous voici à Paris, au printemps, rue de Provence, n° 46. Quatre heures viennent de sonner. Dans un petit salon, élégant sans recherche, une jeune femme, les cheveux tombant sur ses épaules, est assise devant une toilette, et achève de se coiffer. Autour d’elle, debout, ou accoudés sur la cheminée, cinq ou six hommes, parmi lesquels on peut remarquer Lamartine, Vitet et d’autres illustrations. La conversation est générale. La Malibran, tout en disposant ses fins cheveux bruns en bandeaux, selon sa mode qui devint bientôt celle de tout Paris, répond à chacun, et tient tête à tout le monde, gaiement, naturellement, sans jouer en rien à la Célimène. Jamais femme ne fut moins coquette. Je ne parierais pas que tous les assistants ne fussent pas plus ou moins amoureux d’elle ; mais entre eux, pas de jaloux, attendu qu’ils étaient tout aussi maltraités les uns que les autres. Au-dessus de cette vive causerie, vibraient pour elle les sons lointains d’un violon invisible qu’elle écoutait toujours, et cette musique mystérieuse couvrait pour elle toutes les paroles, même celles de Lamartine. Il apportait là son élégance, moitié militaire et moitié aristocratique, qui tenait du garde du corps et du gentilhomme, et qui n’était pas exemple de quelque raideur, mais tout apprêt tombait