Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/258

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larmes, et vous verrez quels accents sortiront de cette voix, que vous traitez dédaigneusement de jolie. » Un an plus tard, la Sontag, après un grand malheur, parut pour la première fois dans le tragique et pathétique rôle de doña Anna. Elle y obtint un triomphe.

« Je vous l’avais bien dit ! » s’écria la Malibran.

Un dernier trait, pour peindre ce mélange de modestie et de confiance en elle qui la caractérisait. Je la rencontre un jour dans la rue Taitbout. Nous nous arrêtons un moment à causer. Passe une voiture, et à la portière de cette voiture, se précipite une tête de petite fille, qui lui envoie mille baisers :

« Qui est cette enfant ? lui dis-je.

— Cette enfant… c’est quelqu’un qui nous éclipsera tous, c’est ma petite sœur Pauline. »

Cette petite sœur est devenue Mme Viardot.


V

Mme Malibran fut-elle ce qu’on nomme une grande tragédienne ? Maria Malibran, sa voix s’éteignant, eût-elle pu se transformer en une grande tragédienne ? Il y a là une question artistique très délicate, et qui mérite un moment d’examen. Le monde confond volontiers deux arts qui se côtoient sans cesse, qui s’unissent parfois, mais qui, plus souvent encore, se séparent et même se contredisent : l’art du chanteur et l’art du comédien.