Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/264

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circonscrite par l’abat-jour et arrondie en auréole sur ces deux visages, dont l’un représentait la beauté dans toute sa fleur, l’autre le génie dans tout son éclat ; tous deux, la jeunesse ! A mon premier mouvement de surprise succéda bientôt un espoir, que je communiquai tout bas à Mlle Vernet.

« Ne vous réjouissez pas trop tôt, me répondit-elle. Elle ne chantera pas. Elle est dans une de ses phases de silence. Voilà trois soirées où il n’est pas possible de lui arracher une note. Elle arrive, très gracieuse, très souriante, elle s’assied à la place où vous la voyez, elle prend sa tapisserie, et s’absorbe dans sa pantoufle comme si c’était une partition de Mozart ; la grande artiste a fait place à une petite bourgeoise. »

Le quatrième jour, pourtant, la conversation étant tombée sur lord Byron que Mlle L. Vernet admirait beaucoup, on alla chercher Childe Harold, on prit le quatrième chant, le chant consacré à Rome, et, comme nous savions tous l’anglais, la soirée se passa à lire, à traduire, à réciter les plus belles strophes ; la Malibran, pleine de feu, d’intelligence compréhensive, mêlait à nos enthousiasmes l’originalité de ses remarques ; mais il ne sortit de son gosier que des paroles, et quand nous nous séparâmes à une heure du matin, Horace Vernet me dit en riant :

« Allons ! il faut nous résigner ! L’oiseau prophète est encore en voyage. »