Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/267

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artiste. Il me fut pourtant donné d’assister encore une fois, quatre ans plus tard, à un de ces réveils de génie qui faisaient explosion en elle comme un jet de feu et de lumière.

C’était en 1836. Elle vint à Paris pour la célébration de son mariage avec Bériot. Ses voyages, ses absences, avaient interrompu nos relations, sans interrompre notre amitié. Elle me demanda d’être un des assistants de son mariage à la mairie. Quand l’officier prononça la phrase du code : La femme doit obéissance à son mari, elle fit une petite moue si gaie, avec un petit haussement d’épaules si drôle, que le maire lui-même ne put s’empêcher de sourire. Le soir on se réunit chez l’éditeur Troupenas, rue Saint-Marc, pour passer une amicale soirée d’artistes. Thalberg avait promis d’y assister. Il n’avait jamais entendu la Malibran, et elle ne le connaissait pas non plus. Le soir, à peine arrivée, elle va vivement à lui et le presse de se mettre au piano :

« Jouer devant vous, avant vous, madame, oh ! c’est impossible : j’ai trop envie de vous entendre !

— Mais vous ne m’entendrez pas, monsieur Thalberg. Ce n’est pas moi qui suis là ! C’est une pauvre femme, accablée des fatigues de la journée ! Je n’ai pas une note dans le gosier ! Je serais exécrable !

— Tant mieux ! Cela me donnera du courage.

— Vous le voulez ! Soit ! »

Elle tint parole. Sa voix était dure, son génie absent. Sa mère lui en faisant reproche :

« Ah ! que veut-tu, maman ? On ne se marie qu’une fois. »