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III

Tout grand artiste a dans sa carrière ce que j’appellerai sa date d’avènement. C’est le jour où une œuvre nouvelle le met tout à coup hors de pair parmi ses pairs, et le fait passer subitement de la renommée à la gloire. Tels furent Jocelyn pour Lamartine, Notre-Dame de Paris pour Victor Hugo, Eugénie Grandet pour Balzac, les Huguenots pour Meyerbeer, les Nuits pour Musset, l’École des Vieillards pour Casimir Delavigne. L’apparition de son nom sur l’affiche du Théâtre-Français était déjà un triomphe, et avait un air de revanche. On rappelait que l’auteur des Vêpres siciliennes, refusé quelques années auparavant par le comité, s’en était vengé par trois succès éclatants à l’Odéon, les Vêpres siciliennes, les Comédiens, le Paria, et qu’il avait reparu vainqueur devant ses premiers juges, honteux et repentants. Il faut en rabatre un peu de cette légende. En réalité, les Vêpres siciliennes n’avaient pas été refusées ; les comédiens n’en avaient pas méconnu le mérite ; seulement on était alors en 1818 ; les troupes alliées occupaient encore le territoire. On craignit que la mise en scène d’une lutte entre Français et étrangers, n’offrit un danger réel, même pour l’auteur, et le comité lui proposa