Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/28

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de lui conserver son tour de réception pour un autre ouvrage. Cet ajournement, qui n’était pas un refus, profita grandement à Casimir Delavigne. Picard, alors directeur de l’Odéon, fut plus hardi que ses camarades de la rue de Richelieu ; il leur enleva l’ouvrage et l’auteur, et son jeune public les accueillit tous deux avec d’autant plus d’enthousiasme que, pour lui, applaudir Casimir Delavigne, c’était siffler le comité du Théâtre-Français.

Quoi qu’il en soit, l’École des Vieillards fut reçue avec acclamation, et la lecture donna lieu à un incident qui en marqua encore le succès. Casimir Delavigne, dans sa pensée destinait le rôle à Baptiste aîné. Mais à la sortie du comité, il entendit quelqu’un marcher vivement derrière lui, et l’appeler. Il se retourne : c’était Talma. «  ― Monsieur Delavigne, lui dit-il, c’est moi qui jouerai Danville, car Danville, c’est moi ! «  Il était lié, en effet, depuis quelque temps, avec une femme beaucoup plus jeune que lui, très belle, et dont il était éperdument épris et follement jaloux. Il y eut grand tumulte dans le théâtre. Damas, qui jouait les grands premiers rôles dans la comédie, donna sa démission. Ce n’était pas moins en effet que le renversement de toutes les hiérarchies, une attaque à la grande règle des emplois. Un premier rôle tragique jouant un personnage de comédie ! Oreste devenu bourgeois ! Joad en habit de ville ! Mlle Mars et Talma dans la même pièce ! Autant de sujets d’irritation jalouse pour certains acteurs, et d’attente passionnée pour le public. Le jour de la première représentation,