Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/270

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Ne sentais-tu donc pas que ta belle jeunesse
De tes yeux fatigués s’écoutait en ruisseaux,
Et de ton noble cœur s’exhalait en sanglots ?
Quand de ceux qui t’aimaient tu voyais la tristesse.
Ne sentais-tu donc pas qu’une fatale ivresse
Berçait ta vie errante à ses derniers rameaux ?


Voilà certes d’admirables vers ! La parole de Bossuet ne monte pas plus haut et ne va pas plus loin. Mais oserai-je le dire ? Le poète ressemble ici à l’orateur et cette ode n’a guère qu’une vérité d’oraison funèbre. Non ! la Malibran n’a pas plié comme un roseau sous l’étreinte de la Muse. Non, elle ne concentrait pas son génie dans un corps brisé. Non, elle n’est pas morte consumée par son âme, son génie et sa gloire ! Sa gloire ? Elle la portait légèrement. Son génie ? Il était pour elle le flambeau qui échauffe, et non la torche qui dévore. Son âme ? Elle avait une force propre qui la soutenait au lieu de l’abattre. Sans doute des larmes véritables coulaient de ses yeux quand elle chantait la romance du Saule ; sans doute, c’étaient bien des cris insensés qui lui sortaient du cœur ; mais sa joue n’en était pas amaigrie ; sa main ne se posait pas chaque jour plus tremblante sur sa tempe ; elle appartenait à cette virile race des Garcia, faite pour la lutte et la conquête ! Ces créatures électriques ne s’épuisent pas plus à se répandre, qu’un foyer de lumière à rayonner. Elles vivent de ce qu’elles dépensent. Ce qui les tuerait, c’est le repos. La mort à saisi la Malibran en pleine puissance d’elle-même. Elle n’est pas morte d’enthousiasme, elle est morte d’une chute de cheval. Je n’hésite