Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/292

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la situation devenait pathétique, il y devenait grand acteur. Dieu sait pourtant que si jamais comédien médiocre parut sur la scène, ce fut lui. Indifférent, froid, court de taille, commun de visage, voire même gauche, il se promenait dans l’action avec une insouciance du geste, de l’allure, du costume, qui arrivait parfois jusqu’au comique. Je le vois encore à la première représentation des Puritains, entrant en scène avec une perruque si singulière qu’elle excita l’hilarité de toute la salle. Sans se troubler, il regarde le public en riant aussi. Il semblait dire : « N’est-ce pas qu’ils m’ont mis sur la tête quelque chose de bien extraordinaire ? » Puis, son morceau achevé, il rentre dans la coulisse, se débarrasse de la malencontreuse perruque, et reparaît avec ses cheveux naturels en souriant encore. Eh bien, ce même homme, dans le finale de Lucia, dans la scène de reproches de la Somnambule, dans le troisième acte des Puritains, se transformait tout à coup en un tragédien admirable à force d’être un chanteur sublime. Peu de gestes, mais d’une vérité saisissante ; une mimique sobre, mais qui était la pantomime même du chant, une voix dont les vibrations vous remuaient si fort à la fois le cœur et les nerfs, qu’en l’entendant nous frémissions tous comme des fils électriques. Il exerçait une action absolument magnétique. Je puis en citer un exemple touchant.

Une vieille dame, une amie de ma famille, atteinte d’une maladie mortelle, était en proie depuis quatre jours à des douleurs qu’on pouvait appeler des tortures. Nul remède ne pouvait les adoucir. Tout à coup, au