Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/295

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peu excessif, mais on y retrouve bien cet enthousiasme, cette passion pour l’art, qui caractérisent 1830. Or, Berlioz est l’image même de 1830 ; nous voilà donc amenés naturellement par la musique italienne à Berlioz qui la détestait ; nous le comprendrons mieux maintenant : sa figure est replacée dans son cadre.


III

La première fois que j’entendis prononcer le nom de Berlioz, c’est à Rome, en 1832, à l’académie de France. Il venait de la quitter et y laissait le souvenir d’un artiste de talent, d’un homme d’esprit mais bizarre et se plaisant à l’être ; on prononçait volontiers à son sujet le mot de poseur. Mme Vernet et sa fille le défendaient et le vantaient beaucoup ; les femmes sont plus perspicaces que nous à deviner les hommes supérieurs. Mlle Louise Vernet me chanta, un jour, une mélodie composée pour elle par Berlioz dans les montagnes de Subiaco, la Captive. Ce qu’il y avait dans ce chant de poétique et de triste m’émut profondément. Je sentis se créer en moi un lien mystérieux de sympathie avec cet inconnu. Je demandai à Mme Vernet une lettre pour lui, et, une fois de retour à Paris, je n’eus pas de soin plus pressé que de le chercher. Mais où le trouver ? Il était si inconnu alors ! J’en désespérais, quand un matin, chez un coiffeur italien, nommé Decandia, qui