Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/306

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des plus pures amours, me torturait au moindre mot adressé par un homme à mon idole, et tout le monde, dans le voisinage, s’amusait de ce pauvre enfant, brisé par un amour au-dessus de ses forces. »

Eh bien, ce qu’il fut à douze ans, il le fut toujours. Toujours blessé, toujours souffrant, mais pas toujours muet. On conçoit qu’une telle nature devait difficilement se plier à la régularité du ménage et à la fidélité conjugale. Aussi son mariage avec miss Smithson fut-il semblable à la Symphonie pastorale, débutant comme la plus pure matinée de printemps, et finissant par le plus effroyable orage. Le désaccord se produisit assez vite, et sous une forme assez singulière. Quand Berlioz épousa miss Smithson, il l’aimait comme un fou ; mais quant à elle, pour me servir d’un mot qui le jetait dans une sorte de fureur, elle l’aimait bien : c’était une tendresse blonde. Peu à peu cependant, la vie commune l’apprivoisa aux farouches transports de son lion, peu à peu, elle y trouva du charme, et bientôt enfin, ce qu’il avait d’original dans l’esprit, de séduisant dans l’imagination, de communicatif dans le cœur, gagna si bien la froide fiancé, qu’elle devint une épouse ardente, et passa de la tendresse à l’amour, de l’amour à la passion, et de la passion à la jalousie. Malheureusement il en est souvent d’un mari et d’une femme comme des deux plateaux d’une balance ; ils se maintiennent rarement de niveau ; quand l’un monte, l’autre descend. Ainsi en arriva-t-il dans le nouveau ménage. A mesure que le thermomètre Smithson s’élevait, le thermomètre Berlioz baissait. Ses sentiments se changèrent