Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/307

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en une bonne amitié, correcte et calme ; mais en même temps éclatèrent chez sa femme des exigences impérieuses, des récriminations violentes et malheureusement trop légitimes. Berlioz, mêlé par l’exécution de ses œuvres et par sa position de critique musical, à tout le monde des théâtres, y trouvait des occasions de faillir qui auraient troublé de plus fortes têtes que la sienne ; en outre, son titre de grand artiste méconnu, était un prestige qui changeait facilement ses interprètes en consolatrices. Mme Berlioz cherchait dans les feuilletons de son mari, les traces de ses infidélités ; elle les cherchait même ailleurs, et des fragments de lettres interceptées, des tiroirs indiscrètement ouverts, lui faisaient des révélations incomplètes, qui suffisaient pour la mettre hors d’elle-même, mais ne l’éclairaient qu’à demi. Sa jalousie retardait toujours. Le cœur de Berlioz allait si vite qu’elle ne pouvait pas le suivre ; quand, à force de recherches, elle était tombée sur l’objet de la passion de son mari, cette passion avait changé, il en aimait une autre, et alors, son innocence actuelle lui étant facile à prouver, la pauvre femme restait confuse comme un limier, qui, après avoir couru une demi-heure sur une piste, arrive au gîte quand l’oiseau est envolé. Il est vrai que quelque autre découverte la faisait bientôt repartir sur une autre trace, et de là, des scènes de ménage effroyables. Miss Smithson était déjà trop âgée pour Berlioz quand il l’avait épousée ; le chagrin précipita pour elle les ravages du temps ; elle vieillit jour à jour au lieu de vieillir année à année ; et malheureusement plus elle vieillissait