Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

VI

Un événement important pour moi avait modifié nos relations. Je m’étais marié comme lui, et dans les mêmes dispositions de sentiments que lui ; mais j’avais compris le mariage autrement que lui. Mon état nouveau me créa ce que Dante appelle éloquemment vita nuova, une vie nouvelle. Mes enfants, leur mère, le soin de leur éducation, avaient fait de moi un homme de famille (domestic-man), comme disent les Anglais. Ce n’était guère le fait de Berlioz et je lui disais en riant :

« Mon cher ami, vous ressemblez à Mlle Mars.

— Comment cela ?

— Quand on lui offrait un rôle de mère, elle le refusait en disant : « Je ne suis faite que pour les rôles jeunes », et elle avait raison. Son extrait de naissance marquait déjà soixante ans que son talent n’en marquait que trente tout au plus. Ses yeux, sa physionomie, sa voie n’étaient propres qu’à peindre l’amour. Interrogée au tribunal sur son âge, elle répondit spirituellement : « Vingt-neuf ans passés. »

— Mais que diable, mon cher, me répondit Berlioz, ai-je de commun avec Mlle Mars ?