Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/308

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de visage, plus aussi elle rajeunissait de cœur, plus son amour s’accroissait, s’aigrissait, devenait une torture pour elle et pour lui, si bien qu’une nuit leur jeune enfant, qui couchait dans leur chambre, fut éveillé par de si terribles éclats d’indignation et d’emportement de la part de sa mère, qu’il se jeta à bas de son lit, et courant à elle : « Maman ! maman ! ne fait pas comme Mme Lafarge ! »

Il fallut se séparer. Celle qui s’appelait jadis Miss Smithson, usée avant l’âge, obèse, malade, alla chercher le repos dans un petit logis obscur à Montmartre, où Berlioz, qui, tout pauvre qu’il fût, lui servit toujours fidèlement une pension honorable, continuait à aller la voir comme ami ; car il l’aimait toujours, il l’aimait autant, mais il l’aimait autrement, et c’est cet autrement-là qui creusait entre eux un abîme.

Alors commença pour Berlioz la seconde et la plus douloureuse époque de sa vie ! Lutte contre tout et pour tout ! lutte contre le public ! lutte pour l’existence journalière ! lutte contre les difficultés d’une position fausse ! lutte contre son génie même qui cherchait encore sa voie. De ce moment date aussi la seconde phrase de notre amitié, qui se transforma sans s’affaiblir, fit de lui pour moi un véritable initiateur, et me permettra de montrer ce rare esprit sous une forme nouvelle et curieuse.