Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/345

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

autre stimulant. Ce stimulant était une scène de reproches, dont la paresse d’Eugène lui fournissait facilement le prétexte, et qui, placée au dessert, lui fouettait le sang et activait sa digestion. Son garnement de fils s’en aperçut, et devint immédiatement, pour faire enrager son père, le meilleur des élèves. « Monsieur, lui dit un jour son père, quel devoir votre maître vous a-t-il donné pour la classe de demain ? ― Une version, mon père. – Je suis sûr qu’elle n’est pas commencée. – Elle est finie, mon père. – Cela m’étonne bien. – La voici, mon père. – Pleine de fautes, je le parie, et illisible. – J’espère que non, répond le gamin d’un air contrit ; du reste, regardez, mon père. »

— Écriture irréprochable ! Pas un contre-sens ! Pas un mot oublié ! Le père, stupéfait, commence à enrager en dedans de ne pouvoir enrager en dehors. Son dîner allait lui peser. « Enfin, dit-il, en jetant la version sur la table, le hasard est un grand maître ! Mais je suis certain que vous avez oublié la lettre dont je vous avais chargé pour votre tante. – Voici la réponse, mon père. – La réponse ! s’écrie son père, vous le faites donc exprès ! Vous voilà exact maintenant ! Eh laborieux ! Ah ! je vous devine ! C’est pour rire de ma déconvenue ! pour vous moquer de moi ! Car de quoi ne vous moquez-vous pas ? Un garnement sans foi ni loi ! » Une fois sur le chapitre des défauts de son fils, le père avait trouvé son joint, et il continua à s’exaspérer jusqu’à la valeur d’une demi-tasse.

« Savez-vous que c’est une invention très comique ? me dit mon compagnon de promenade.