Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/36

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Où trouver dans le théâtre contemporain, même chez E. Augier, des vers plus solides, mieux trempés, plus vrais ? Talma y produisait un effet immense, et quand à la fin de la scène, à ce mot du duc :


Je vous attends !


il répondit :


Vous n’aurez pas l’ennui de m’attendre longtemps,


la terrible familiarité de son accent et de son geste fit courir un frisson dans toute la salle, et l’acte s’acheva au milieu d’une explosion d’applaudissements. Au cinquième acte, la charmante scène de comédie entre Danville et Bonnard fit monter le succès jusqu’à l’ovation, et j’en trouve l’écho dans deux témoignages éclatants.

Lamartine, avec sa naturelle générosité d’âme, salua le triomphe de son rival de renommée dans cette épître charmante :

 
Grâce aux vers enchanteurs que tout Paris répète,
Ton nom a retenti jusque dans ma retraite,
Et le soir, pour charmer les ennuis des hivers,
Autour de mon foyer nous relisons ces vers
Où brille en se jouant ta muse familière,
Qu’eût enviés Térence et qu’eût signés Molière.
Comment peux-tu passer, par quel don, par quel art,
De Syracuse au Havre, et du Gange à Bonnard ?
Puis, soudain déployant les ailes de Pindare,
Sur les bords profanés de Sparte et de Mégare,
Aller d’un vers brûlant tout à coup rallumer
Ces feux dont leurs débris semblent encor fumer ?
Franchissant d’un seul trait tout l’empire céleste,
Le génie est un aigle et ton vol nous l’atteste.