Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/384

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et tragique. Un soir, en rentrant chez lui, il heurta du pied, dans l’obscurité, un objet suspendu et mobile ; il allume une bougie, que voit-il ? Les deux pieds d’un homme qui avait pénétré dans son antichambre, on n’a jamais su comment, et qui était venu s’y prendre ; il tenait dans sa main un billet ainsi conçu : « Je me tue par désespoir ; il m’a semblé que la mort me serait moins dure, si je mourais sous le toit de celui qui nous aime et nous défend ! » Ce fanatisme pour Sue datait surtout de la publication d’un épisode que vous vous rappelez peut-être, l’histoire de la famille Morel.

— Morel le lapidaire ! s’écria mon interlocuteur. Le diamant perdu ; le désespoir de cet honnête homme qu’on accuse d’avoir volé ;… l’expulsion de toute la famille ! C’est un des plus beaux chapitres des Mystères de Paris !…

— Eh bien, voici le post-scriptum de ce chapitre. Sue l’avait achevé depuis quelques jours et nous avait arraché des larmes à tous en nous le lisant. C’était vers la fin d’un mois de février. Le 25, Pleyel avait remis à Sue 1800 francs pour le payement d’un billet à ordre ; le 28, dernier jour du mois, nous arrivons tous les quatre pour le dîner mensuel. A peine arrivé, Pleyel lui dit : « Eh bien, le créancier est-il venu ? Où est la quittance des dix-huit cents francs ?… » Sue balbutia, s’embarrassa, et de sa voix câline : « Mon bon Camille, il ne faut pas m’en vouloir, mais… ― Vous n’avez pas payé ! s’écria Pleyel. ― Je vais vous dire, mon bon Camille, c’est que… ― C’est que quoi ? Encore quelque nouvelle folie ! Vraiment ! vous êtes odieux ! Je ne dîne