Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/404

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J’en trouve un premier et singulier témoignage dans le journal de Barbier, à la date du 12 février 1757 :

« Un jeune avocat, garçon d’esprit, qui se nomme Legouvé, a eu l’imprudence de dire dans le salon de M. Lenoir, notaire, rue Saint-Honoré, où l’on parlait de l’instruction du procès de Damiens : « C’est faire bien du bruit pour une petite saignée. » Ce propos a été dénoncé au Parlement, dans l’assemblée des princes et des pairs ; quatre-vingts membres ont requis contre Legouvé un décret de prise de corps ; et il aurait certainement expié fort durement son intempérance de langue, si le prince de Conti n’avait fait valoir que ce n’était là qu’un propos de jeune homme, qu’on n’en connaissait par les termes textuels, que le décret de prise de corps entraînait une peine afflictive, et qu’il était injuste de punir aussi sévèrement une faute relativement légère. Il n’a pas fallu moins que toute l’autorité de prince de Conti pour faire revenir les juges de leur sentiment, mais cette affaire n’en resta pas moins comme très fâcheuse pour l’ordre des avocats. »

Quand le hasard me fit tomber sur cette page de Barbier, je me dis immédiatement : « Ah ! voilà donc pourquoi à vingt-quatre ans, j’avais la tête si légère, la langue si intempérante, et un goût si vif pour l’opposition ! C’est la faute de mon grand-père. C’est l’avocat de 1757 qui s’amusait à refaire des siennes dans la pauvre tête du poète de 1832. Il s’était installé chez moi comme s’il était chez lui. »

Un second fait m’a plus frappé encore. Je savais bien que mon grand-père avait été avocat, avocat distingué ; mes parents le comparaient à Gerbier, mais les admirations de famille ne sont pas paroles d’évangile, et je restais un peu en défiance, quand une révélation inattendue vint me remplir d’un orgueil et d’une reconnaissance toute filiale.