Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/423

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Un jour il se crut perdu ; il avait à payer pour le lendemain une somme de 12,000 francs, et il n’en avait pas le premier louis. Ce mot terrible et qui lui déchirait les lèvres et le cœur, il fallait le prononcer, il fallait faire faillite. Retiré avec quelques parents dans une chambre au cinquième étage, il ne voyait autour de lui que larmes et désespoir… Lui seul ne désespérait pas, il cherchait toujours. A ce moment, une voiture, passant dans la rue, ébranle les vitres de la pauvre chambre. « Oh ! ces hommes à équipage ! ces riches égoïstes ! s’écrie un des assistants, penser que pour celui qui passe là en ce moment, dans cette splendide voiture, ces 12,000 francs ne seraient rien, et que si on les lui demandait, à lui ou à ses pareils, pas un d’eux ne nous prêterait 500 francs. » Goubaux, à cette parole, relève la tête. On accusait les hommes, cela lui semble une injustice. Il répond : « Pourquoi vous en prendre à ce riche qui passe et que vous ne connaissez pas ? Qui vous dit que, s’il savait mon malheur, il ne me viendrait pas en aide ? ― Voilà bien ton insupportable optimisme. ― Cet optimisme n’est que de l’équité. ― De l’équité ? Tu as demandé appui à vingt personnes, elles t’ont toutes refusé. ― Elles ne pouvaient rien. ― Celui qui passait dans cette voiture pourrait quelque chose, lui ; va donc frapper à sa porte. ― Eh bien, s’écrie Goubaux, j’irai, sinon à lui, du moins à quelqu’un qui est riche comme lui, que je ne connais pas plus que lui et qui ne me refusera pas. ― Tu es fou. ― C’est ce que nous allons voir. » Il part, court chez lui, prend une plume et écrit. A qui ? A M. Laffitte, qu’il n’avait jamais vu ; il lui raconte en