Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/44

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vous dis aujourd’hui… C’est charmant ! Ainsi, remportez-le, et ne m’en rapportez plus. Quand, comme vous, on a une valeur personnelle, quand on fait des vers qui ne ressemblent à rien, il ne faut pas consulter, de peur d’altérer son originalité ; ― Ah ! cher maître, vous me comblez !… » Et il partit radieux.

Les conseils de Casimir Delavigne ne furent pas perdus pour moi ; j’employai mon année de jeûne poétique à traduire l’Agamemnon d’Eschyle et Roméo et Juliette de Shakespeare ; je lus, le crayon à la main, nos chefs d’œuvre en prose, et j’arrivai chez lui au bout d’un an, avec une étude d’observation intime qui lui plut, un plan de tragédie qui ne lui déplut pas et une idée qu’il approuva complètement. Cette idée était de concourir pour le prix de poésie, à l’Académie. « Le sujet proposé, lui dis-je, est un peu sévère, mais il n’est pas banal : c’est l’invention de l’imprimerie ; puis, ce qui me touche, c’est que ce prix, si je l’obtenais, créerait, ce me semble, un lien de plus entre mon père et moi. ― Concourez ! me dit-il vivement, vous avez raison. Moi aussi, j’ai débuté par un concours académique. ― Et vous n’avez pas été couronné, repris-je en riant. ― Non ; et c’était juste. Nous avions pour sujet : les Avantages de l’étude ; et la fantaisie me prit de faire un paradoxe à la Jean-Jacques. J’attaquai l’étude dans une épître railleuse… ― Pleine de vers charmants, restés proverbes. ― Vous les connaissez ? ― Je pourrais vous les citer ; témoin celui-ci :


Les sots depuis Adam sont en majorité.