Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/45

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Et je n’ai jamais pu comprendre pourquoi vous n’aviez pas eu le prix. ― Oh ! il y eut grand débat parmi mes juges. Lemercier tenait fortement pour moi. Mais on me reprocha d’avoir quelque peu manqué de respect au docte corps en ne prenant pas le sujet au sérieux, et on me préféra la pièce de Pierre Lebrun, qui, somme toute, valait mieux que la mienne. Ne faites pas comme moi, n’attaquez pas l’imprimerie et allez voir Lemercier ; allez le voir pour trois raisons : il était l’ami de votre père, il vous recevra bien ; c’est un esprit de premier ordre, il vous guidera bien ; c’est un des plus écoutés à l’Académie, il vous défendra bien. ― Avec vous, j’espère. ― Ah ! ne comptez pas sur moi, reprit-il gaiement. Je suis un fort mauvais académicien, je ne gagne pas mes quatre-vingt-trois francs par mois. Je n’y vais presque jamais. J’ai tort, car le peu de fois que j’y vais, je m’y amuse. Mais le travail, les répétitions, et surtout le mauvais pli pris, m’en détournent. C’est affaire de routine. Mes pieds n’ont pas l’habitude de se diriger le jeudi vers le pont des Arts. Je n’y vais pas parce que je n’y vais pas. Quand vous en serez…, car il faut que vous en soyez, vous devez cela à votre père, soyez exact. Nous nous y retrouverons peut-être, ajouta-t-il en riant, car je serai vieux alors, et j’irai. L’Académie a un grand avantage. Grâce à elle, quand on n’est plus quelqu’un, on est encore quelque chose. Allez chez Lemercier. »