Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/455

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

chacun de nous, et d’en tirer des pronostics fâcheux ou favorables. Après le déjeuner, une heure de musique, qui nous servait de repos, de récompense et d’auxiliaire. Il y a un lien mystérieux entre les arts. Une mélodie vous dicte souvent un bon vers, et plus d’une fois, pendant ce travail, c’est Beethoven, c’est Weber, c’est Schubert qui m’ont aidé à me tirer d’affaire dans une scène difficile.

Au bout de dix jours, les vacances de Goubaux étant terminées, et nos deux premiers actes aussi, nous assemblâmes le comité de lecture. Ce comité se composait de ma femme : « Je prends l’emploi des Laforêt », dit-elle en s’installant dans son fauteuil avec sa tapisserie. Nous apportâmes chacun notre devoir, et elle ajouta gaiement : « Élève Goubaux, je vous écoute. »

La double lecture amena de nombreuses interruption. C’était moi qui m’écriais parfois en écoutant Goubaux : « Bravo ! c’est bien mieux que moi. ― N’influencez pas la justice, » disait ma femme. Et la justice, après m’avoir entendu à mon tour, étant questionnée sur sa préférence entre les deux actes, répondit : « Je crois bien que je les préfère tous les deux. Tous les deux m’ont amusée, mais pas aux mêmes endroits. Le début de la pièce m’a paru bien plus saisissant chez M. Goubaux, mais la fin de l’acte m’a plu davantage chez M. Ernest Legouvé. J’aime mieux le rôle de la femme dans l’un, et le rôle du père dans l’autre. Il me semble qu’en fondant ces deux versions en une seule, on ferait un mariage parfait… comme le nôtre. ― C’est du Salomon tout pur, s’écria Goubaux, et comme demain