Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/475

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se promener ; une tristesse profonde et muette descendit sur son visage comme dans son âme ; et un jour, sans s’être jamais plaint, il monta à tatons sur le rebord de la fenêtre de son salon, situé au premier étage, et se laissa tomber la tête la première sur le pavé de la cour, tranquillement, comme un disciple de Zénon se plantait un poignard dans le cœur.


II

Joanny, qui, comme Firmin, contribua beaucoup au succès de Louise de Lignerolles, était un artiste singulier à plus d’un titre. D’abord, il arrivait toujours à la première répétition d’un ouvrage nouveau, sachant complètement son rôle. Il apportait son manuscrit dans sa poche, pour y noter les changements qui pouvaient survenir, mais dès le premier jour, le texte tout entier était gravé dans sa mémoire.

Nous voilà bien loin de la théorie de quelques grands acteurs d’aujourd’hui, qui prétendent qu’on ne peut, qu’on ne doit apprendre son rôle qu’en scène. Qui a raison ? lui, ou eux ? Peut-être tous les deux. C’est affaire d’époque et d’école. Autrefois, où la diction était au premier rang, la méthode de Joanny valait mieux. Aujourd’hui les mots se fondent avec les gestes, la place qu’on occupe sur la scène, modifie profondément l’accent