Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/483

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Malheureusement la pauvre femme ne voulut pas garder les rôles jeunes, seulement au théâtre. Combien de fois l’ai-je vue arriver aux répétitions de Louise de Lignerolles, nerveuse, irritée, les yeux gonflés de larmes. Pourquoi ? Parce qu’elle sortait d’une explication violente avec un des jeunes gens les plus élégants de Paris et que liait à elle un amour partagé,… mais partagé, hélas ! trop inégalement. Eh bien, rien ne pouvait la détacher de lui, ni ses infidélités, ni les humiliations que lui attiraient parfois ces intempestives amours. C’est à elle que fut adressée cette terrible parole d’un médecin, chez qui elle l’avait conduit, et qui, voyant ses angoisses, lui dit tout bas : « Calmez-vous, madame, il n’y a rien de grave dans l’état de monsieur votre fils. » Ne rions pas d’elle. Ne l’accusons pas. Qui sait si le cœur et le talent ne s’allumaient pas chez elle au même foyer ? Qui sait si l’un fût resté jeune, sans l’éternelle jeunesse de l’autre ? Il ne faut pas mesurer à la règle commune ces créatures étranges qu’on appelle des artistes supérieures. Elles ont tous les âges à la fois : encore enfants, elles sont déjà jeunes ; déjà vieilles, elles sont encore enfants. Croirait-on que dans ce drame de Louise de Lignerolles, où elle était mère d’une petite fille de huit ans, Mlle Mars voyant cette enfant rester attachée à son côté, même lorsqu’elle ne parlait pas, lui dit : « Qu’est-ce que tu fais là, pendue à ma robe ? Ce n’est pas de ton âge. Va-t’en dès que tu as répondu à ce que je te demande ; va-t’en jouer à la corde, au volant. A ton âge, on ne reste jamais en place. » Elle lui apprenait à avoir huit ans.