Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/491

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dit naïvement : « C’est bien singulier, voilà trois fois que je vais chez Mlle Mars, elle me fait toujours dire qu’elle n’y est pas. »

Elle se retira en 1841, pour mourir en 1847, et il me reste d’elle, à cette époque, deux souvenirs, dont l’un est tristement caractéristique et l’autre très touchant.

Ma femme promenant un matin aux Tuileries sa petite fille qui entrait dans ses sept ans, lui poussa vivement le coude et lui dit : « Regarde ! » L’enfant voit venir à elle une vieille dame, portant un tour de cheveux noirs, voûtée, marchant avec peine et tenant en laisse un petit chien jaune. Le petit chien s’arrête tout à coup, en passant près d’un arbre ; la vieille dame s’arrête aussi et attend… Ma femme dit tout bas à sa fille : « Mlle Mars ! » Araminte attendant que son petit chien ait fini ! quel tableau !

Je cours bien vite à l’autre souvenir.

Mlle Mars avait pour amie une ancienne cantatrice d’opéra, que les amateurs se rappellent encore, qui avait créé Jemmy, dans Guillaume Tell, Mme Dabadie. Mme Dabadie pressait fort Mlle Mars de penser à son salut. ― « J’y penserai, j’y penserai ! répondit-elle, mais il faut d’abord que j’en finisse avec un procès que j’ai à Versailles ; dès que je l’aurai gagné, amène-moi un confesseur. ― J’en ai un admirable, répondit l’ancienne cantatrice, l’abbé Gallard, le vicaire de la Madeleine. ― Eh ! bien, je t’écrirai. »

Au bout de huit jours, voilà Mlle Mars prise par un mal subit et mortel.