Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/51

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de nommer, d’un côté, Andrieux, Arnault, Lemercier, Jouy, Étienne ; de l’autre, Chateaubriand et Lamartine ; puis, entre eux deux, tenant la balance, Villemain et Casimir Delavigne.

L’Académie avait désigné, comme je l’ai dit, pour sujet de poésie, l’Invention de l’Imprimerie. J’envoyai ma pièce de vers au concours, et, sur le conseil de C. Delavigne, j’écrivis à M. Lemercier pour lui demander un moment d’entretien.

J’arrive un matin, à dix heures, rue Garancière, n° 8. Je remets ma carte au domestique ; je suis introduit aussitôt dans un cabinet de travail très simple, un peu austère, et je vois se lever et venir à moi, en boitant un peu, un homme d’une soixantaine d’années, petit de taille, mais d’une figure encore charmante avec ses cheveux d’un gris d’argent soyeusement ondulés sur les tempes. Son front, partagé au milieu par la mèche napoléonienne, était tout couvert d’un léger réseau de petites veines frémissantes comme sur le cou des chevaux de race ; ses yeux, bleux, grands, humides, avaient un éclat d’escarboucle ; son nez, recourbé en bec d’aigle, retombait sur une bouche remarquablement petite, aux lèvres minces, mobiles, contractiles, prêtes également à lancer un trait mordant, ou à se détendre en un sourire plein de finesse, le tout enveloppé d’une grâce, d’une courtoisie, qui rappelait les manières de l’ancienne société française où il avait beaucoup vécu. Je ne vis pas tout cela, je le sentis ; le premier coup d’œil a des clairvoyances qui ressemblent à des divinations. Nous avions marché